La Curée

La Curée (paragraphe n°751)

Chapitre IV

Mais la merveille de l'appartement, la pièce dont parlait tout Paris, c'était le cabinet de toilette. On disait : " Le cabinet de toilette de la belle madame Saccard, " comme on dit : " La galerie des glaces, à Versailles. " Ce cabinet se trouvait dans une des tourelles de l'hôtel, juste au-dessus du petit salon bouton-d'or. On songeait, en y entrant, à une large tente ronde, une tente de féerie, dressée en plein rêve par quelque guerrière amoureuse. Au centre du plafond, une couronne d'argent ciselé retenait les pans de la tente qui venaient, en s'arrondissant, s'attacher aux murs, d'où ils tombaient droits jusqu'au plancher. Ces pans, cette tenture riche, étaient faits d'un dessous de soie rose recouvert d'une mousseline très claire, plissée à grands plis de distance en distance ; une applique de guipure séparait les plis, et des baguettes d'argent guillochées descendaient de la couronne, filaient le long de la tenture, aux deux bords de chaque applique. Le gris rose de la chambre à couchers'éclairait ici, devenait un blanc rose, une chair nue. Et, sous ce berceau de dentelles, sous ces rideaux qui ne laissaient voir du plafond, par le vide étroit de la couronne, qu'un trou bleuâtre, où Chaplin avait peint un Amour rieur, regardant et apprêtant sa flèche, on se serait cru au fond d'un drageoir, dans quelque précieuse boîte à bijoux, grandie, non plus faite pour l'éclat d'un diamant, mais pour la nudité d'une femme. Le tapis, d'une blancheur de neige, s'étalait sans le moindre semis de fleurs. Une armoire à glace, dont les deux panneaux étaient incrustés d'argent ; une chaise longue, deux poufs, des tabourets de satin blanc ; une grande table de toilette, à plaque de marbre rose, et dont les pieds disparaissaient sous des volants de mousseline et de guipure, meublaient la pièce. Les cristaux de la table de toilette, les verres, les vases, la cuvette étaient en vieux bohème veiné de rose et de blanc. Et il y avait encore une autre table, incrustée d'argent comme l'armoire à glace, où se trouvait rangé l'outillage, les engins de toilette, trousse bizarre, qui étalait un nombre considérable de petits instruments dont l'usage échappait, les gratte-dos, les polissoirs, les limes de toutes les grandeurs et de toutes les formes, les ciseaux droits et recourbés, toutes les variétés des pinces et des épingles. Chacun de ces objets, en argent et ivoire, était marqué au chiffre de Renée.

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