La Curée

La Curée (paragraphe n°810)

Chapitre V

Quand Saccard l'eut quittée, elle s'habilla précipitamment et fit atteler. Pendant que son coupé l'emportait vers l'île Saint-Louis, elle préparait la façon dont elle allait demander les cinquante mille francs à son père. Elle se jetait dans cette idée brusque, sans vouloir la discuter, se sentant très lâche au fond, et prise d'une épouvante invincible devant une pareille démarche. Lorsqu'elle arriva, la cour de l'hôtel Béraud la glaça, de son humidité morne de cloître, et ce fut avec des envies de se sauver, qu'elle monta le large escalier de pierre, où ses petites bottes à hauts talons sonnaient terriblement. Elle avait eu la sottise, dans sa hâte, de choisir un costume de soie feuille-morte à longs volants de dentelles blanches, orné de nœuds de satin, coupé par une ceinture plissée comme une écharpe. Cette toilette, que complétaitune petite toque, à grande voilette blanche, mettait une note si singulière dans l'ennui sombre de l'escalier, qu'elle eut elle-même conscience de l'étrange figure qu'elle y faisait. Elle tremblait en traversant l'enfilade austère des vastes pièces, où les personnages vagues des tapisseries semblaient surpris par ce flot de jupes passant au milieu du demi-jour de leur solitude.

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