La Curée

La Curée (paragraphe n°832)

Chapitre V

Vois-tu, je n'ai qu'une crainte, c'est que tu ne te grises avec tout ton bonheur. Sois prudente, et surtout ne vends rien... Si un jour tu avais un enfant, tu trouverais pour lui une petite fortune toute prête. Quand Renée fut dans son coupé, elle poussa un soupir de soulagement. Elle avait des gouttes de sueur froide aux tempes ; elle les essuya, en pensant à l'humidité glaciale de l'hôtel Béraud. Puis, lorsque le coupé roula au soleil clair du quai Saint-Paul, elle se souvint des cinquante mille francs, et toute sa douleur s'éveilla, plus vive. Elle qu'on croyait si hardie, comme elle venait d'être lâche ! Et pourtant c'était de Maxime qu'il s'agissait, de sa liberté, de leurs joies à tous deux ! Au milieu des reproches amers qu'elle s'adressait, une idée surgit tout à coup, qui mit son désespoir au comble : elle aurait dû parler des cinquante mille francs à la tante Elisabeth, dans l'escalier. Où avait-elle eu la tête ? La bonne femme lui aurait peut-être prêté la somme, ou tout au moins l'aurait aidée. Elle se penchait déjà pour dire à son cocher de retourner rue Saint-Louis-en-l'Ile, lorsqu'elle crut revoir l'image de son père traversant lentement l'ombre solennelle du grand salon. Jamais elle n'aurait le courage de rentrer tout de suite dans cette pièce. Que dirait-elle pour expliquer cette deuxième visite ? Et, au fond d'elle, elle ne trouvait même plus le courage de parler de l'affaire à la tante Elisabeth. Elle dit à son cocher de la conduire rue du Faubourg-Poissonnière.

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