La Curée

La Curée (paragraphe n°893)

Chapitre V

Quand un remords plus cuisant faisait frissonner Renée, elle avait des rébellions superbes. Quel était donc son crime, et pourquoi aurait-elle rougi ? Est-ce qu'elle ne marchait pas chaque jour sur des infamies plus grandes ? Est-ce qu'elle ne coudoyait pas, chez les ministres, aux Tuileries, partout, des misérables comme elle, qui avaient sur leur chair des millions et qu'on adorait à deux genoux ! Et elle songeait à l'amitié honteuse d'Adeline d'Espanet et de Suzanne Haffner, dont on souriait parfois aux lundis de l'impératrice. Elle se rappelait le négoce de madame de Lauwerens, que les maris célébraient pour sa bonne conduite, son ordre, son exactitude à payer ses fournisseurs. Elle nommait madame Daste, madame Teissière, la baronne de Meinhold, ces créatures dont les amants payaient le luxe, et qui étaient cotées dans le beau monde comme des valeurs à la Bourse. Madame de Guende était tellement bête et tellement bien faite, qu'elle avait pour amants trois officiers supérieurs à la fois, sans pouvoir les distinguer, à cause de leur uniforme ; ce qui faisait dire à ce démon de Louise qu'elle les forçait d'abord à se mettre en chemise, pour savoir auquel des trois elle parlait. La comtesse Vanska, elle, se souvenait des cours où elle avait chanté, des trottoirs le long desquels on prétendait l'avoir revue, vêtue d'indienne, rôdant comme une louve. Chacune de ces femmes avait sa honte, sa plaie étalée et triomphante. Puis, les dominant toutes, la duchesse deSternich se dressait, laide, vieillie, lassée, avec la gloire d'avoir passé une nuit dans le lit impérial ; c'était le vice officiel, elle en gardait comme une majesté de la débauche et une souveraineté sur cette bande d'illustres coureuses.

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