La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°1063)

Partie : DEUXIEME PARTIE, chapitre I

Malgré le danger, il se haussait, il s'entêtait à vouloir se rendre compte. Sur la droite, les prairies inondées par ordre du gouverneur, le vaste lac qui s'étendait de Torcy à Balan, protégeait la ville : une nappe immobile, d'un bleu délicat au soleil matinal. Mais l'eau cessait à l'entrée de Bazeilles, et les Bavarois s'étaient en effet avancés, au travers des herbes, profitant des moindres fossés, des moindres arbres. Ils pouvaient être à cinq cents mètres ; et ce qui le frappait, c'était la lenteur de leurs mouvements, la patience avec laquelle ils gagnaient du terrain, en s'exposant le moins possible. D'ailleurs, une puissante artillerie les soutenait, l'air frais et pur s'emplissait de sifflements d'obus. Il leva les yeux, il vit que la batterie de Pont-Maugis n'était pas la seule à tirer sur Bazeilles : deux autres, installées à mi-côte du Liry, avaient ouvert leur feu, battant le village, balayant même au-delà les terrains nus de la Moncelle, où étaient les réserves du 12e corps, et jusqu'aux pentes boisées de Daigny, qu'une division du 1er corps occupait. Toutes les crêtes de la rive gauche, du reste, s'enflammaient. Lescanons semblaient pousser du sol, c'était comme une ceinture sans cesse allongée : une batterie à Noyers qui tirait sur Balan, une batterie à Wadelincourt qui tirait sur Sedan, une batterie à Frénois, en dessous de la Marfée, une formidable batterie, dont les obus passaient par-dessus la ville, pour aller éclater parmi les troupes du 7e corps, sur le plateau de Floing. Ces coteaux qu'il aimait, cette suite de mamelons qu'il avait toujours crus là pour le plaisir de la vue, fermant au loin la vallée d'une verdure si gaie, Weiss ne les regardait plus qu'avec une angoisse terrifiée, devenus tout d'un coup l'effrayante et gigantesque forteresse, en train d'écraser les inutiles fortifications de Sedan.

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