La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°1676)

Partie : DEUXIEME PARTIE, chapitre V

Mais, autour de la pièce d'Honoré surtout, l'effort continuait, sans hâte et obstiné. Lui, malgré ses galons, dut se mettre à la manœuvre, car il ne restait que trois servants. Il pointait, tirait le rugueux, pendant que les trois allaient au caisson, chargeaient, maniaient l'écouvillon et le refouloir. On avait fait demander des hommes et des chevaux haut le pied, pour boucher les trous creusés par la mort ; et ils tardaient à venir, il fallait se suffire en attendant. La rage était qu'on n'arrivait toujours pas, que les projectiles lancés éclataient presque tous en l'air, sans faire grand mal à ces terribles batteriesadverses, dont le feu était si efficace. Et, brusquement, Honoré poussa un juron, qui domina le bruit de la foudre : toutes les malchances, la roue droite de sa pièce venait d'être broyée ! Tonnerre de Dieu ! une patte cassée, la pauvre bougresse fichue sur le flanc, son nez par terre, bancale et bonne à rien ! Il en pleurait de grosses larmes, il lui avait pris le cou entre ses mains égarées comme s'il avait voulu la remettre d'aplomb, par la seule chaleur de sa tendresse. Une pièce qui était la meilleure, qui était la seule à avoir envoyé quelques obus là-bas ! Puis, une résolution folle l'envahit, celle de remplacer la roue immédiatement, sous le feu. Lorsque, aidé d'un servant, il fut allé lui-même chercher dans la prolonge une roue de rechange, la manœuvre de force commença, la plus dangereuse qui pût être faite sur le champ de bataille. Heureusement, les hommes et les chevaux haut le pied avaient fini par arriver, deux nouveaux servants donnèrent un coup de main.

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