La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°273)

Partie : PREMIERE PARTIE, chapitre III

Moi, je lavais ma chemise, tandis qu'on faisait la soupe !... Imaginez-vous un sale trou, un vrai entonnoir, avec des bois tout autour, qui avaient permis à ces cochons de Prussiens de s'approcher à quatre pattes, sans qu'on s'en doute seulement... Alors, à sept heures, voilà que les obus se mettent à tomber dans nos marmites. Nom de Dieu ! ça n'a pas traîné, nous avons sauté sur nos flingots et jusqu'à onze heures, vrai ! on a cru qu'on leur allongeait une raclée dans les grands prix... Mais faut que vous sachiez que nous n'étions pas cinq mille et que cescochons arrivaient, arrivaient toujours. J'étais, moi, sur un petit coteau, couché derrière un buisson, et j'en voyais déboucher en face, à droite, à gauche, oh ! de vraies fourmilières, des files de fourmis noires, si bien que, quand il n'y en avait plus, il y en avait encore. Ce n'est pas pour dire, mais nous pensions tous que les chefs étaient de rudes serins, de nous avoir fourrés dans un pareil guêpier, loin des camarades, et de nous y laisser aplatir, sans venir à notre aide... Pour lors, voilà notre général, le pauvre bougre de général Douay, pas une bête ni un capon, celui-là, qui gobe une prune et qui s'étale, les quatre fers en l'air. Nettoyé, plus personne ! Ça ne fait rien, on tient tout de même. Pourtant, ils étaient trop, il fallait bien déguerpir. On se bat dans un enclos, on défend la gare, au milieu d'un tel train, qu'il y avait de quoi rester sourd... Et puis, je ne sais plus, la ville devait être prise, nous nous sommes trouvés sur une montagne, le Geissberg, comme ils disent, je crois ; et alors, là, retranchés dans une espèce de château, ce que nous en avons tué, de ces cochons ! Ils sautaient en l'air, ça faisait plaisir de les voir retomber sur le nez... Et puis, que voulez-vous ? il en arrivait, il en arrivait toujours, dix hommes contre un, et du canon tant qu'on en demandait. Le courage, dans ces histoires-là, ça ne sert qu'à rester sur le carreau. Enfin, une telle marmelade, que nous avons dû foutre le camp... N'empêche que, pour des serins, nos officiers se sont montrés de fameux serins, n'est-ce pas, Picot ?

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