La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°2799)

Chapitre V

Cependant, il ne lui restait qu'un jour, elle devait prendre un parti. Dès la première minute, une idée atroce avait bien passé, au travers du bouleversement de sa pauvre tête malade : avertir les francs-tireurs, donner àSambuc le renseignement qu'il attendait. Mais l'idée était restée fuyante, imprécise, et elle l'avait écartée, comme monstrueuse, ne souffrant même pas la discussion : cet homme, après tout, n'était-il pas le père de son enfant ? elle ne pouvait le faire assassiner. Puis, l'idée était revenue, peu à peu enveloppante, pressante ; et, maintenant, elle s'imposait, de toute la force victorieuse de sa simplicité et de son absolu. Goliath mort, Jean, Prosper, le père Fouchard n'avaient plus rien à craindre. Elle-même gardait Charlot, que jamais plus personne ne lui disputait. Et c'était encore autre chose, une chose profonde, ignorée d'elle, qui montait du fond de son être : le besoin d'en finir, d'effacer la paternité en supprimant le père, la joie sauvage de se dire qu'elle en sortirait comme amputée de sa faute, mère et seule maîtresse de l'enfant, sans partage avec un mâle. Tout un jour encore, elle roula ce projet, n'ayant plus l'énergie de le repousser, ramenée quand même aux détails du guet-apens, prévoyant, combinant les moindres faits. C'était, à cette heure, l'idée fixe, l'idée qui a planté son clou, qu'on cesse de raisonner ; et, lorsqu'elle finit par agir, par obéir à cette poussée de l'inévitable, elle marcha comme dans un rêve, sous la volonté d'une autre, de quelqu'un qu'elle n'avait jamais connu en elle.

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