La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°2976)

Chapitre VII

Ce fut, pour Maurice, une soirée d'affreuse tristesse. Si les Allemands avaient osé, ils auraient campé la nuit sur la place du Carrousel. Mais c'étaient des gens d'absolue prudence, résolus à un siège classique, ayant réglé déjà les points exacts de l'investissement, le cordonde l'armée de la Meuse au nord, de Croissy à la Marne, en passant par Epinay, l'autre cordon de la IIIe armée au midi, de Chennevières à Châtillon et à Bougival, pendant que le grand quartier prussien, le roi Guillaume, monsieur de Bismarck et le général de Moltke régnaient à Versailles. Ce blocus géant, auquel on ne croyait pas, était un fait accompli. Cette ville, avec son enceinte bastionnée de huit lieues et demie de tour, avec ses quinze forts et ses six redoutes détachées, allait se trouver comme en prison. Et l'armée de défense ne comptait que le 13e corps, sauvé et ramené par le général Vinoy, le 14e en voie de formation, confié au général Ducrot, réunissant à eux deux un effectif de quatre-vingt mille soldats, auxquels il fallait ajouter les quatorze mille hommes de la marine, les quinze mille des corps francs, les cent quinze mille de la garde mobile, sans parler des trois cent mille gardes nationaux, répartis dans les neuf secteurs des remparts. S'il y avait là tout un peuple, les soldats aguerris et disciplinés manquaient. On équipait les hommes, on les exerçait, Paris n'était plus qu'un immense camp retranché. Les préparatifs de défense s'enfiévraient d'heure en heure, les routes coupées, les maisons de la zone militaire rasées, les deux cents canons de gros calibre et les deux mille cinq cents autres pièces utilisées, d'autres canons fondus, tout un arsenal sortant du sol, sous le grand effort patriotique du ministre Dorian. Après la rupture des négociations de Ferrière, lorsque Jules Favre eut fait connaître les exigences de monsieur de Bismarck, la cession de l'Alsace, la garnison de Strasbourg prisonnière, trois milliards d'indemnité, un cri de colère s'éleva, la continuation de la guerre, la résistance fut acclamée, comme une conditionindispensable à la vie de la France. Même sans espoir de vaincre, Paris devait se défendre, pour que la patrie vécût.

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