La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°71)

Partie : PREMIERE PARTIE, chapitre I

Mais, monsieur, vous qui savez tout, vous ne savez pas ça... Oui, à Mazagran, j'avais dix-neuf ans à peine, et nous étions cent vingt-trois hommes, pas un de plus, et nous avons tenu quatre jours contre douze mille Arabes... Ah ! oui, pendant des années et des années, là-bas, en Afrique, à Mascara, à Biskra, à Dellys, plus tard dans la Grande Kabylie, plus tard à Laghouat, si vous aviez été avec nous, monsieur, vous auriez vu tous ces sales moricauds filer comme des lièvres, dès que nous paraissions... Et à Sébastopol, monsieur, fichtre ! on ne peut pas dire que ç'a été commode. Des tempêtes à vous déraciner les cheveux, un froid de loup, toujours des alertes, puis ces sauvages qui, à la fin, ont tout fait sauter ! N'empêche pas que nous les avons fait sauter eux-mêmes, oh ! en musique et dans la grande poêle à frire !... Et à Solférino, vous n'y étiez pas, monsieur, alors pourquoi en parlez-vous ? Oui, à Solférino, où il a fait si chaud, bien qu'il ait tombé ce jour-là plus d'eau que vous n'en avez peut-être jamais vu dans votre vie ! à Solférino, la grande brossée aux Autrichiens, il fallait les voir, devant nos baïonnettes, galoper, se culbuter, pour courir plus vite, comme s'ils avaient eu le feu au derrière !

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