La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°810)

Partie : PREMIERE PARTIE, chapitre VII

Ah ! oui, les Prussiens... Eh bien ! Ils avaient tout cassé, tout pillé, tout mangé et tout bu. Ils volaient aussi le linge, les serviettes, les draps, jusqu'aux rideaux, qu'ils déchiraient en longues bandes, pour se panser les pieds. J'en ai vu dont les pieds n'étaient plus qu'une plaie, tant ils avaient marché. Devant chez le docteur, au bord du ruisseau, il y en avait une troupe, qui s'étaient déchaussés et qui s'enveloppaient les talons avec des chemises de femme garnies de dentelle, volées sans doute à la belle madame Lefèvre, la femme du fabricant... Jusqu'à la nuit,le pillage a duré. Les maisons n'avaient plus de portes, elles bâillaient sur la rue par toutes les ouvertures des rez-de-chaussée, et l'on apercevait les débris des meubles à l'intérieur, un vrai massacre qui mettait en colère les gens calmes... Moi, j'étais comme folle, je ne pouvais rester davantage. On a eu beau vouloir me retenir, en me disant que les routes étaient barrées, qu'on me tuerait pour sûr, je suis partie, je me suis jetée tout de suite dans les champs, à droite, en sortant de Raucourt. Des chariots de Français et de Prussiens, en tas, arrivaient de Beaumont. Deux ont passé près de moi, dans l'obscurité, avec des cris, des gémissements, et j'ai couru, oh ! j'ai couru à travers les terres, à travers les bois, je ne sais plus par où, en faisant un grand détour, du côté de Villers... Trois fois, je me suis cachée, en croyant entendre des soldats. Mais je n'ai rencontré qu'une autre femme qui courait aussi, qui se sauvait de Beaumont, elle, et qui m'a dit des choses à faire dresser les cheveux... Enfin, je suis ici, bien malheureuse, oh ! bien malheureuse !

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