La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1035)

Partie : Livre 2, chapitre X

C'était l'amour avant le sexe, l'instinct d'aimer qui plante les petits hommes de dix ans sur le passage des bambines en robes blanches. Autour d'eux, les prairies largement ouvertes les rassuraient de la légère peur qu'ils avaient l'un de l'autre. Ils se savaient vus de toutes les herbes, vus du ciel dont le bleu les regardait à travers le feuillage grêle ; et cela ne les dérangeait pas. La tente des saules, sur leurs têtes, était un simple pan d'étoffe transparente, comme si Albine avait pendu là un coin desa robe. L'ombre restait si claire, qu'elle ne leur soufflait pas les langueurs des taillis profonds, les sollicitations des trous perdus, des alcôves vertes. Du bout de l'horizon, leur venait un air libre, un vent de santé, apportant la fraîcheur de cette mer de verdure, où il soulevait une houle de fleurs ; tandis que, à leurs pieds, la rivière était une enfance de plus, une candeur dont le filet de voix fraîche leur semblait la voix lointaine de quelque camarade qui riait. Heureuse solitude, toute pleine de sérénité, dont la nudité s'étalait avec une effronterie adorable d'ignorance ! Immense champ, au milieu duquel le gazon étroit qui leur servait de première couche prenait une naïveté de berceau.

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