La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1743)

Partie : Livre 3, chapitre VII

La pluie, au-dehors, tombait plus fine. Une nappe de soleil, échappée du coin d'un nuage, trempait d'or la poussière d'eau volante. Albine, restée immobile, regardait dormir Désirée, cette belle fille qui contentait sa chair en se roulant sur la paille. Elle souhaitait d'être ainsi lasse et pâmée, endormie de jouissance, pour quelques fétus qui lui auraient chatouillé la nuque. Elle jalousait ces bras forts, cette poitrine dure, cette vie toute charnelle dans la chaleur fécondante d'un troupeau de bêtes, cet épanouissement purement animal, qui faisait de l'enfant grasse la tranquille sœur de la grande vache blanche et rousse. Elle rêvait d'être aimée du coq fauve et d'aimer elle-même comme les arbres poussent, naturellement, sans honte, en ouvrant chacune de ses veines aux jets de la sève. C'était la terre qui assouvissait Désirée, lorsqu'elle se vautrait sur le dos. Cependant, la pluie avait complètement cessé. Les trois chats de la maison, l'un derrière l'autre, filaient dans la cour, le long du mur, en prenant des précautions infinies pour ne pas se mouiller. Ils allongèrent le cou dans l'écurie, ils vinrent droit à la dormeuse, ronronnant, se couchant contre elle, les pattes sur un peu de sa peau. Moumou, le gros chat noir, blottiprès d'une de ses joues, se mit à lui lécher le menton avec douceur.

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