La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°1927)

Partie : Livre 3, chapitre XII

Elle le mena à la forêt. Les arbres effrayèrent Serge davantage. Il ne les connaissait pas, avec cette gravité deleur tronc noir. Plus qu'ailleurs, le passé lui semblait mort, au milieu de ces futaies sévères, où le jour descendait librement. Les premières pluies avaient effacé leurs pas sur le sable des allées ; les vents emportaient tout ce qui restait d'eux aux branches basses des buissons. Mais Albine, la gorge serrée de tristesse, protestait du regard. Elle retrouvait sur le sable les moindres traces de leurs promenades. A chaque broussaille, l'ancienne tiédeur du frôlement qu'ils avaient laissé là lui remontait au visage. Et, les yeux suppliants, elle cherchait encore à évoquer les souvenirs de Serge. Le long de ce sentier, ils avaient marché en silence, très émus, sans oser se dire qu'ils s'aimaient. Dans cette clairière, ils s'étaient oubliés un soir, fort tard, à regarder les étoiles, qui pleuvaient sur eux comme des gouttes de chaleur. Plus loin, sous ce chêne, ils avaient échangé leur premier baiser. Le chêne conservait l'odeur de ce baiser ; les mousses elles-mêmes en causaient toujours. C'était un mensonge de dire que la forêt devenait muette et vide. Et Serge tournait la tête, pour éviter les yeux d'Albine, qui le fatiguaient.

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