La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°2005)

Partie : Livre 3, chapitre XIV

La grande chambre, bientôt, fut parée. Elle avait posé une lampe allumée sur la console. Elle triait les fleurs amoncelées au milieu du carreau, elle en faisait de grosses touffes qu'elle distribuait à tous les coins. D'abord, derrière la lampe sur la console, elle mit les lis, une haute dentelle qui attendrissait la lumière de sa pureté blanche. Puis, elle porta des poignées d'œillets et de quarantaines sur le vieux canapé, dont l'étoffe peinte était déjà semée de bouquets rouges, fanés depuis cent ans ; et l'étoffe disparut, le canapé allongea contre le mur un massif de quarantaines hérissé d'œillets. Elle rangea alors les quatre fauteuils devant l'alcôve ; elle emplit le premier de soucis, le second de pavots, le troisième de belles-de-nuit, le quatrième d'héliotropes ; les fauteuils, noyés, ne montrant que des bouts de leurs bras, semblaient des bornes de fleurs. Enfin, elle songea au lit.Elle roula près du chevet une petite table, sur laquelle elle dressa un tas énorme de violettes. Et, à larges brassées, elle couvrit entièrement le lit de toutes les jacinthes et de toutes les tubéreuses qu'elle avait apportées ; la couche était si épaisse, qu'elle débordait sur le devant, aux pieds, à la tête, dans la ruelle, laissant couler des traînées de grappes. Le lit n'était plus qu'une grande floraison. Cependant, les roses restaient. Elle les jeta au hasard, un peu partout ; elle ne regardait même pas où elles tombaient ; la console, le canapé, les fauteuils, en reçurent ; un coin du lit en fut inondé. Pendant quelques minutes, il plut des roses, à grosses touffes, une averse de fleurs lourdes comme des gouttes d'orage, qui faisaient des mares dans les trous du carreau. Mais le tas ne diminuant guère, elle finit par en tresser des guirlandes qu'elle pendit aux murs. Les Amours de plâtre qui polissonnaient au-dessus de l'alcôve eurent des guirlandes de roses au cou, aux bras, autour des reins ; leurs ventres nus, leurs culs nus furent tout habillés de roses. Le plafond bleu, les panneaux ovales encadrés de nœuds de ruban couleur chair, les peintures érotiques mangées par le temps, se trouvèrent tendus d'un manteau de roses, d'une draperie de roses. La grande chambre était parée. Maintenant, elle pouvait y mourir.

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