La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°614)

Partie : Livre 1, chapitre XIV

Que de fois les litanies de la Vierge, récitées en commun, dans la chapelle, avaient ainsi laissé le jeune homme, les genoux cassés, la tête vide, comme après une grande chute ! Depuis sa sortie du séminaire, l'abbé Mouret avait appris à aimer la Vierge davantage encore. Il lui vouait ce culte passionné où Frère Archangias flairait des odeurs d'hérésie. Selon lui, c'était elle qui devait sauver l'Eglise par quelque prodige grandiose dont l'apparition prochaine charmerait la terre. Elle était le seul miracle de notre époque impie, la dame bleue se montrant aux petits bergers, la blancheur nocturne vue entre deux nuages, et dont le bord du voile traînait sur les chaumes des paysans. Quand Frère Archangias lui demandait brutalement s'il l'avait jamais aperçue, il se contentait de sourire, les lèvres serrées, comme pour garder son secret. La vérité était qu'il la voyait toutes les nuits. Elle ne lui apparaissait plus ni sœur joueuse, ni belle jeune fille fervente ; elle avait une robe de fiancée, avec des fleurs blanches dans les cheveux, les paupières à demi baissées, laissant couler des regards humides d'espérance qui lui éclairaient les joues. Et il sentait bien qu'elle venait à lui, qu'elle lui promettait de ne plus tarder, qu'elle lui disait : " Me voici, reçois-moi. " Trois fois chaque jour, lorsque l'Angelus sonnait, au réveil de l'aube, dans la maturité de midi, à la tombée attendrie ducrépuscule, il se découvrait, il disait un Ave en regardant autour de lui, cherchant si la cloche ne lui annonçait pas enfin la venue de Marie. Il avait vingt-cinq ans. Il l'attendait.

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