La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°625)

Partie : Livre 1, chapitre XV

L'abbé Mouret eut un sourire, en rapprochant les tisons. Il ne trouvait dans ce passé qu'une grande pureté, une obéissance parfaite. Il était un lis, dont la bonne odeur charmait ses maîtres. Il ne se rappelait pas un mauvais acte. Jamais il ne profitait de la liberté absolue des promenades, pendant que les deux directeurs de surveillance allaient causer chez un curé du voisinage, pour fumer derrière une haie ou courir boire de la bière avec quelque ami. Jamais il ne cachait des romans sous sa paillasse, ni n'enfermait des bouteilles d'anisette au fond de sa table de nuit. Longtemps même, il ne s'étaitpas douté de tous les péchés qui l'entouraient, des ailes de poulets et des gâteaux introduits en contrebande pendant le carême, des lettres coupables apportées par les servants, des conversations abominables tenues à voix basse, dans certains coins de la cour. Il avait pleuré à chaudes larmes, le jour où il s'était aperçu que peu de ses camarades aimaient Dieu pour lui-même. Il y avait là des fils de paysans entrés dans les ordres par terreur de la conscription, des paresseux rêvant un métier de fainéantise, des ambitieux que troublait déjà la vision de la crosse et de la mitre. Et lui, en retrouvant les ordures du monde au pied des autels, s'était replié encore sur lui-même, se donnant davantage à Dieu, pour le consoler de l'abandon où on le laissait.

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