La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°626)

Partie : Livre 1, chapitre XV

Pourtant, l'abbé se rappela qu'un jour il avait croisé les jambes, à la classe. Le professeur lui en ayant fait le reproche, il était devenu très rouge, comme s'il avait commis une indécence. Il était un des meilleurs élèves, ne discutant pas, apprenant les textes par cœur. Il prouvait l'existence et l'éternité de Dieu par des preuves tirées de l'Ecriture sainte, par l'opinion des Pères de l'Eglise, et par le consentement universel de tous les peuples. Les raisonnements de cette nature l'emplissaient d'une certitude inébranlable. Pendant sa première année de philosophie, il travaillait son cours de logique avec une telle application, que son professeur l'avait arrêté, en lui répétant que les plus savants ne sont pas les plus saints. Aussi, dès sa seconde année, s'acquittait-il de son étude de la métaphysique, ainsi que d'un devoir réglementé, entrant pour une très faible part dans les exercices de la journée. Le mépris de la science luivenait ; il voulait rester ignorant, afin de garder l'humilité de sa foi. Plus tard, en théologie, il ne suivait plus le cours d'Histoire ecclésiastique, de Rohrbacher, que par soumission ; il allait jusqu'aux arguments de Gousset, jusqu'à l'Instruction théologique, de Bouvier, sans oser toucher à Bellarmin, à Liguori, à Suarez, à saint Thomas d'Aquin. Seule, l'Ecriture sainte le passionnait. Il y trouvait le savoir désirable, une histoire d'amour infini qui devait suffire comme enseignement aux hommes de bonne volonté. Il n'acceptait que les affirmations de ses maîtres, se débarrassant sur eux de tout souci d'examen, n'ayant pas besoin de ce fatras pour aimer, accusant les livres de voler le temps à la prière. Il avait même réussi à oublier ses années de collège. Il ne savait plus, il n'était plus qu'une candeur, qu'une enfance ramenée aux balbutiements du catéchisme.

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