La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°628)

Partie : Livre 1, chapitre XVI

Cette évocation des grands bonheurs de sa jeunesse avait donné une légère fièvre à l'abbé Mouret. Il ne sentait plus le froid. Il lâcha les pincettes, s'approcha du lit comme s'il allait se coucher, puis revint appuyer son front contre une vitre, regardant la nuit, sans voir. Etait-il donc malade, qu'il éprouvait ainsi une langueur des membres, tandis que le sang lui brûlait les veines ? Au séminaire, à deux reprises, il avait eu des malaises semblables, une sorte d'inquiétude physique qui le rendait très malheureux ; une fois même, il s'était mis au lit, avec un gros délire. Puis, il songea à une jeune fille possédée, que Frère Archangias racontait avoir guérie d'un simple signe de croix, un jour qu'elle était tombée raide devant lui. Cela le fit penser aux exorcismes spirituels qu'un de ses maîtres lui avait recommandés autrefois : la prière, la confession générale, la communion fréquente, le choix d'un directeur sage, ayant un grand empire sur l'esprit de son pénitent. Et, sans transition, avec une brusquerie qui l'étonna lui-même, il aperçut au fond de sa mémoire la figure ronde d'un de ses anciens amis, un paysan, enfant de chœur à huit ans, dont la pension au séminaire était payée par une dame qui le protégeait. Il riait toujours, il jouissait naïvement à l'avance des petits bénéfices du métier : les douze cents francs d'appointement, le presbytère au fond d'un jardin, les cadeaux, les invitations à dîner, les menus profits des mariages, desbaptêmes, des enterrements. Celui-là devait être heureux, dans sa cure.

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