La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°865)

Partie : Livre 2, chapitre VII

Le couple enjambait les obstacles, continuait sa marche heureuse entre les deux haies de verdure. A droite, montaient les fraxinelles légères, les centranthus retombant en neige immaculée, les cynoglosses grisâtres ayant une goutte de rosée dans chacune des coupes minuscules de leurs fleurs. A gauche, c'était une longue rue d'ancolies, toutes les variétés de l'ancolie, les blanches, les roses pâles, les violettes sombres, ces dernières presque noires, d'une tristesse de deuil, laissant pendre d'un bouquet de hautes tiges leurs pétales plissés et gaufrés comme un crêpe. Et plus loin, à mesure qu'ils avançaient, les haies changeaient, alignaient les bâtons fleuris de pieds-d'alouettes énormes, perdus dans la frisure des feuilles, laissaient passer les gueules ouvertes des mufliers fauves, haussaient le feuillage grêle des schizanthus, plein d'un papillonnage de fleurs aux ailesde soufre tachées de laque tendre. Des campanules couraient, lançant leurs cloches bleues à toute volée, jusqu'au haut de grands asphodèles, dont la tige d'or leur servait de clocher. Dans un coin, un fenouil géant ressemblait à une dame de fine guipure renversant son ombrelle de satin vert d'eau. Puis, brusquement, le couple se trouvait au fond d'une impasse ; il ne pouvait plus avancer, un tas de fleurs bouchait le sentier, un jaillissement de plantes tel, qu'il mettait là comme une meule à panache triomphal. En bas, des acanthes bâtissaient un socle, d'où s'élançaient des benoîtes écarlates, des rhodantes dont les pétales secs avaient des cassures de papier peint, des clarkias aux grandes croix blanches, ouvragées, semblables aux croix d'un ordre barbare. Plus haut, s'épanouissaient les viscarias roses, les leptosiphons jaunes, les colinsias blancs, les lagurus plantant parmi les couleurs vives leurs pompons de cendre verte. Plus haut encore, des digitales rouges, les lupins bleus s'élevaient en colonnettes minces, suspendaient une rotonde byzantine, peinturlurée violemment de pourpre et d'azur ; tandis que, tout en haut, un ricin colossal, aux feuilles sanguines, semblait élargir un dôme de cuivre bruni.

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