La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°873)

Partie : Livre 2, chapitre VII

Et Albine mena Serge, à droite, dans un champ qui était comme le cimetière du parterre. Des scabieuses y mettaient leur deuil. Des cortèges de pavots s'en allaient à la file, puant la mort, épanouissant leurs lourdes fleurs d'un éclat fiévreux. Des anémones tragiques faisaient desfoules désolées, au teint meurtri, tout terreux de quelque souffle épidémique. Des daturas trapus élargissaient leurs cornets violâtres, où des insectes, las de vivre, venaient boire le poison du suicide. Des soucis, sous leurs feuillages engorgés, ensevelissaient leurs fleurs, des corps d'étoiles agonisants, exhalant déjà la peste de leur décomposition. Et c'étaient encore d'autres tristesses : les renoncules charnues, d'une couleur sourde de métal rouillé ; les jacinthes et les tubéreuses exhalant l'asphyxie, se mourant dans leur parfum. Mais les cinéraires surtout dominaient, toute une poussée de cinéraires qui promenaient le demi-deuil de leurs robes violettes et blanches, robes de velours rayé, robes de velours uni, d'une sévérité riche. Au milieu du champ mélancolique, un Amour de marbre restait debout, mutilé, le bras qui tenait l'arc tombé dans les orties, souriant encore sous les lichens dont sa nudité d'enfant grelottait.

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