La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°874)

Partie : Livre 2, chapitre VII

Puis, Albine et Serge entrèrent jusqu'à la taille dans un champ de pivoines. Les fleurs blanches crevaient, avec une pluie de larges pétales qui leur rafraîchissaient les mains, pareilles aux gouttes larges d'une pluie d'orage. Les fleurs rouges avaient des faces apoplectiques, dont le rire énorme les inquiétait. Ils gagnèrent, à gauche, un champ de fuchsias, un taillis d'arbustes souples, déliés, qui les ravirent comme des joujoux du Japon, garnis d'un million de clochettes. Ils traversèrent ensuite des champs de véroniques aux grappes violettes, des champs de géraniums et de pélargoniums, sur lesquels semblaient courir des flammèches ardentes, le rouge, le rose, le blanc incandescent d'un brasier, que les moindressouffles du vent ravivaient sans cesse. Ils durent tourner des rideaux de glaïeuls, aussi grands que des roseaux, dressant des hampes de fleurs qui brûlaient dans la clarté, avec des richesses de flamme de torches allumées. Ils s'égarèrent au milieu d'un bois de tournesols, une futaie faite de troncs aussi gros que la taille d'Albine, obscurcie par des feuilles rudes, larges à y coucher un enfant, peuplée de faces géantes, de faces d'astre, resplendissantes comme autant de soleils. Et ils arrivèrent enfin dans un autre bois, un bois de rhododendrons, si touffu de fleurs que les branches et les feuilles ne se voyaient pas, étalant des bouquets monstrueux, des hottées de calices tendres qui moutonnaient jusqu'à l'horizon.

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