La Faute de l'Abbé Mouret

La Faute de l'Abbé Mouret (paragraphe n°957)

Partie : Livre 2, chapitre IX

Ils étaient dans l'ancien verger du parc. Une haie vive d'aubépine, une muraille de verdure, trouée de brèches, mettait là un bout de jardin à part. C'était une forêt d'arbres fruitiers, que la serpe n'avait pas taillés depuis un siècle. Certains troncs se déjetaient puissamment, poussaient de travers, sous les coups d'orage qui les avaient pliés ; tandis que d'autres, bossués de nœuds énormes, crevassés de cavités profondes, ne semblaient plus tenir au sol que par les ruines géantes de leur écorce. Les hautes branches, que le poids des fruits courbait àchaque saison, étendaient au loin des raquettes démesurées ; même, les plus chargées, qui avaient cassé, touchaient la terre, sans qu'elles eussent cessé de produire, raccommodées par d'épais bourrelets de sève. Entre eux, les arbres se prêtaient des étais naturels, n'étaient plus que des piliers tordus, soutenant une voûte de feuilles qui se creusait en longues galeries, s'élançait brusquement en halles légères, s'aplatissait presque au ras du sol en soupentes effondrées. Autour de chaque colosse, des rejets sauvages faisaient des taillis, ajoutaient l'emmêlement de leurs jeunes tiges, dont les petites baies avaient une aigreur exquise. Dans le jour verdâtre, qui coulait comme une eau claire, dans le grand silence de la mousse, retentissait seule la chute sourde des fruits que le vent cueillait.

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