La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1006)

Partie : Préface, chapitre V

Cependant, la cavalerie sabrait toujours les fuyards, dans la plaine des Nores ; les galops des chevaux, les cris des mourants, s'éloignaient, s'adoucissaient, comme une musique lointaine, apportée par l'air limpide. Silvère ne savait plus qu'on se battait. Il ne vit pas son cousin, qui remontait la pente et qui traversait de nouveau le cours. En passant, Pascal ramassa la carabine de Macquart, que Silvère avait jetée ; il la connaissait pour l'avoir vue pendue à la cheminée de tante Dide, et songeait à la sauver des mains des vainqueurs. Il était à peine entré dans l'hôtel de la Mule-Blanche, où l'on avait porté un grand nombre de blessés, qu'un flot d'insurgés, chassés par la troupe comme une bande de bêtes, envahit l'esplanade. L'homme au sabre avait fui ; c'étaient les derniers contingents des campagnes que l'on traquait. Il y eut là un effroyable massacre. Le colonel Masson et le préfet, monsieur de Blériot, pris de pitié, ordonnèrent vainement la retraite. Les soldats, furieux, continuaient à tirer dans le tas, à clouer les fuyards contre les murailles, à coups de baïonnette. Quand ils n'eurent plus d'ennemisdevant eux, ils criblèrent de balles la façade de la Mule-Blanche. Les volets partaient en éclats ; une fenêtre, laissée entrouverte, fut arrachée, avec un bruit retentissant de verre cassé. Des voix lamentables criaient à l'intérieur : " Les prisonniers ! les prisonniers ! " Mais la troupe n'entendait pas, elle tirait toujours. On vit, à un moment, le commandant Sicardot, exaspéré, paraître sur le seuil, parler en agitant les bras. A côté de lui, le receveur particulier. Monsieur Peirotte, montra sa taille mince, son visage effaré. Il y eut encore une décharge. Et monsieur Peirotte tomba par terre, le nez en avant, comme une masse.

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