La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1218)

Partie : Préface, chapitre VI

Et, chemin faisant, il se fit conter le cas. Le jardin se terminait par une terrasse qui dominait la plaine ; en cet endroit, un large pan des remparts s'était écroulé, l'horizon s'étendait sans bornes. Rougon avait compris que ce serait là un excellent poste d'observation. Les gardes nationaux étaient restés à la porte. Tout en causant, les membres de la commission vinrent s'accouder sur le parapet de la terrasse. L'étrange spectacle qui se déroula alors devant eux les rendit muets. Au loin, dans la vallée de la Viorne, dans ce creux immense qui s'enfonçait, au couchant, entre la chaîne des Garrigues et les montagnes de la Seille, les lueurs de la lune coulaient comme un fleuve de lumière pâle. Les bouquets d'arbres, les rochers sombres faisaient, de place en place, des îlots, des langues de terre, émergeant de la mer lumineuse. Et l'on distinguait, selon les coudes de la Viorne, des bouts, des tronçons de rivière, qui se montraient, avec des reflets d'armures, dans la fine poussière d'argent qui tombait du ciel. C'était un océan, un monde que la nuit, le froid, la peur secrète, élargissaient à l'infini. Ces messieurs n'entendirent, nevirent d'abord rien. Il y avait dans le ciel un frisson de lumière et de voix lointaines qui les assourdissait et les aveuglait. Granoux, peu poète de sa nature, murmura cependant, gagné par la paix sereine de cette nuit d'hiver !

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