La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1242)

Partie : Préface, chapitre VI

Quand Plassans eut bouclé et serré autour de lui la ceinture usée de ses remparts, quand il se fut verrouillé comme une forteresse assiégée aux approches d'un assaut, une angoisse mortelle passa sur les maisons mornes. A chaque heure, du centre de la ville, on croyait entendre des fusillades éclater dans les faubourgs. On ne savait plus rien, on était au fond d'une cave, d'un trou muré, dans l'attente anxieuse de la délivrance ou du coup de grâce. Depuis deux jours, les bandes d'insurgés qui battaient la campagne avaient interrompu toutes les communications. Plassans, acculé dans l'impasse où il est bâti, se trouvait séparé du reste de la France. Il se sentait en plein pays de rébellion ; autour de lui, le tocsin sonnait, La Marseillaise grondait, avec des clameurs de fleuve débordé. La ville, abandonnée et frissonnante, était comme une proie promise aux vainqueurs, et les promeneurs du cours passaient, à chaque minute, de la terreur à l'espérance, en croyant apercevoir à la Grand-Porte, tantôt des blouses d'insurgés et tantôt desuniformes de soldats. Jamais sous-préfecture, dans son cachot de murs croulants, n'eut une agonie plus douloureuse.

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