La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1248)

Partie : Préface, chapitre VI

Pierre rentra, l'oreille basse, se coulant dans l'ombre des maisons. Il sentait autour de lui Plassans lui devenir hostile. Il entendait, dans les groupes, courir son nom, avec des paroles de colère et de mépris. Ce fut en chancelant et la sueur aux tempes, qu'il monta l'escalier. Félicité le reçut, silencieuse, la mine consternée. Elle aussi commençait à désespérer. Tout leur rêve croulait.Ils se tinrent là, dans le salon jaune, face à face. Le jour tombait, un jour sale d'hiver qui donnait des teintes boueuses au papier orange à grands ramages ; jamais la pièce n'avait paru plus fanée, plus sordide, plus honteuse. Et, à cette heure, ils étaient seuls ; ils n'avaient plus, comme la veille, un peuple de courtisans qui les félicitaient. Une journée venait de suffire pour les vaincre, au moment où ils chantaient victoire. Si le lendemain la situation ne changeait pas, la partie était perdue. Félicité qui, la veille, songeait aux plaines d'Austerlitz, en regardant les ruines du salon jaune, pensait maintenant, à le voir si morne et si désert, aux champs maudits de Waterloo.

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