La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1422)

Partie : Préface, chapitre VI

Quelle journée ! Les Rougon en parlent encore, comme d'une bataille glorieuse et décisive. Pierre alla droit à la mairie, sans s'inquiéter des regards ni des paroles qu'il surprit au passage. Il s'y installa magistralement, en homme qui entend ne plus quitter la place. Il envoya simplement un mot à Roudier, pourl'avertir qu'il reprenait le pouvoir. " Veillez aux portes, disait-il, sachant que ces lignes pouvaient devenir publiques ; moi, je veillerai à l'intérieur, je ferai respecter les propriétés et les personnes. C'est au moment où les mauvaises passions renaissent et l'emportent, que les bons citoyens doivent chercher à les étouffer, au péril de leur vie. " Le style, les fautes d'orthographe rendaient plus héroïque ce billet, d'un laconisme antique. Pas un de ces messieurs de la commission provisoire ne parut. Les deux derniers fidèles, Granoux lui-même, se tinrent prudemment chez eux. De cette commission, dont les membres s'étaient évanouis, à mesure que la panique soufflait plus forte, il n'y avait que Rougon qui restât à son poste, sur son fauteuil de président. Il ne daigna pas même envoyer un ordre de convocation. Lui seul, et c'était assez. Sublime spectacle qu'un journal de la localité devait plus tard caractériser d'un mot : " Le courage donnant la main au devoir ".

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