La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1476)

Partie : Préface, chapitre VI

Et il crut devoir faire quelques plaisanteries grasses. Tante Dide s'était remise à tourner dans la pièce. Elle ne prononça plus une parole. Vers le soir, Antoine s'éloigna, après avoir mis une blouse et enfoncé sur ses yeux une casquette profonde que sa mère alla lui acheter. Il rentra dans la ville, comme il en était sorti, en contant une histoire aux gardes nationaux qui gardaient la porte de Rome. Puis il gagna le vieux quartier où, mystérieusement, il se glissa de porte en porte. Tous les républicains exaltés, tous les affiliés qui n'avaient pas suivi la bande, se trouvèrent, vers neuf heures, réunis dans un café borgne où Macquart leur avait donné rendez-vous. Quand il y eut là une cinquantaine d'hommes, il leur tint un discours où il parla d'une vengeance personnelle à satisfaire, de victoire à remporter, de joug honteux à secouer, et finit en se faisant fort de leur livrer la mairie en dix minutes. Il en sortait, elle était vide ; le drapeau rouge y flotterait cettenuit même, s'ils le voulaient. Les ouvriers se consultèrent : à cette heure, la réaction agonisait, les insurgés étaient aux portes, il serait honorable de ne pas les attendre pour reprendre le pouvoir, ce qui permettrait de les recevoir en frères, les portes grandes ouvertes, les rues et les places pavoisées. D'ailleurs, personne ne se défia de Macquart ; sa haine contre les Rougon, la vengeance personnelle dont il parlait, répondaient de sa loyauté. Il fut convenu que tous ceux qui étaient chasseurs et qui avaient chez eux un fusil iraient le chercher, et qu'à minuit, la bande se trouverait sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Une question de détail faillit les arrêter, ils n'avaient pas de balles ; mais ils décidèrent qu'ils chargeraient leurs armes avec du plomb à perdrix, ce qui même était inutile, puisqu'ils ne devaient rencontrer aucune résistance.

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