La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°1585)

Partie : Préface, chapitre VII

La société habituelle du salon, quand elle fut réunie, ne put cacher l'admiration que lui causa un pareil spectacle. Ces messieurs souriaient d'un air embarrassé, en échangeant des regards sournois qui signifiaient clairement : " Ces Rougon sont fous, ils jettent leur argent par la fenêtre. " La vérité était que Félicité, en allant faire les invitations, n'avait pu retenir sa langue. Tout le monde savait que Pierre était décoré et qu'on allait le nommer quelque chose ; ce qui allongeait les nez singulièrement, selon l'expression de la vieille femme. Puis, disait Roudier : " Cette noiraude se gonflait par trop. " Au jour des récompenses, la bande de ces bourgeois qui s'étaient rués sur la République expirante, en s'observant les uns les autres, en se faisant gloire chacun de donner un coup de dent plus bruyant que celui du voisin, trouvaient mauvais que leurs hôtes eussent tous les lauriers de la bataille. Ceux mêmes qui avaient hurlé par tempérament, sans rien demander à l'Empirenaissant, étaient profondément vexés de voir que, grâce à eux, le plus pauvre, le plus taré de tous allait avoir le ruban rouge à la boutonnière. Encore si l'on avait décoré tout le salon !

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