La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°269)

Partie : Préface, chapitre III

La position particulière du marquis fit de lui, à Plassans, dès les premiers jours de la République, l'agent actif du mouvement réactionnaire. Ce petit hommeremuant, qui avait tout à gagner au retour de ses rois légitimes, s'occupa avec fièvre du triomphe de leur cause. Tandis que la noblesse riche du quartier Saint-Marc s'endormait dans son désespoir muet, craignant peut-être de se compromettre et de se voir de nouveau condamnée à l'exil, lui se multipliait, faisait de la propagande, racolait des fidèles. Il fut une arme dont une main invisible tenait la poignée. Dès lors, ses visites chez les Rougon devinrent quotidiennes. Il lui fallait un centre d'opérations. Son parent, monsieur de Valqueyras, lui ayant défendu d'introduire des affiliés dans son hôtel, il avait choisi le salon jaune de Félicité. D'ailleurs, il ne tarda pas à trouver dans Pierre un aide précieux. Il ne pouvait aller prêcher lui-même la cause de la légitimité aux petits détaillants et aux ouvriers du vieux quartier ; on l'aurait hué. Pierre, au contraire, qui avait vécu au milieu de ces gens-là, parlait leur langue, connaissait leurs besoins, arrivait à les catéchiser en douceur. Il devint ainsi l'homme indispensable. En moins de quinze jours, les Rougon furent plus royalistes que le roi. Le marquis, en voyant le zèle de Pierre, s'était finement abrité derrière lui. A quoi bon se mettre en vue, quand un homme à fortes épaules veut bien endosser toutes les sottises d'un parti ? Il laissa Pierre trôner, se gonfler d'importance, parler en maître, se contentant de le retenir ou de le jeter en avant, selon les nécessités de la cause. Aussi l'ancien marchand d'huile fut-il bientôt un personnage. Le soir, quand ils se retrouvaient seuls, Félicité lui disait :

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