La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°346)

Partie : Préface, chapitre III

Cependant, le marquis gardait toujours son mystérieux sourire en regardant Félicité. Ce petit vieux était bien trop fin pour ne pas comprendre où allait la France. Un des premiers, il flaira l'Empire. Plus tard, quand l'Assemblée législative s'usa en vaines querelles, quand les orléanistes et les légitimistes eux-mêmes acceptèrent tacitement la pensée d'un coup d'Etat, il se dit que, décidément la partie était perdue. D'ailleurs, lui seul vit clair. Vuillet sentit bien que la cause d'Henri V, défendue par son journal, devenait détestable ; mais peu lui importait ; il lui suffisait d'être la créature obéissante du clergé ; toute sa politique tendait à écouler le plus possible de chapelets et d'images saintes. Quant à Roudier et à Granoux, ils vivaient dans un aveuglement effaré ; il n'était pas certain qu'ils eussent une opinion ; ils voulaient manger et dormir en paix, là se bornaient leurs aspirations politiques. Le marquis, après avoir dit adieu à ses espérances, n'en vint pas moins régulièrement chez les Rougon. Il s'y amusait. Le heurt des ambitions, l'étalage des sottises bourgeoises, avaient fini par lui offrir chaque soir un spectacle des plus réjouissants. Il grelottait à la pensée de se renfermer dans son petit logement, dû à la charité du comte de Valqueyras. Ce fut avec une joie malicieuse qu'il garda pour lui la convictionque l'heure des Bourbons n'était pas venue. Il feignit l'aveuglement, travaillant comme par le passé au triomphe de la légitimité, restant toujours aux ordres du clergé et de la noblesse. Dès le premier jour, il avait pénétré la nouvelle tactique de Pierre, et il croyait que Félicité était sa complice.

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