La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°553)

Partie : Préface, chapitre IV

La seconde fille, Gervaise, née l'année suivante, était bancale de naissance. Conçue dans l'ivresse, sans doute pendant une de ces nuits honteuses où les époux s'assommaient, elle avait la cuisse droite déviée et amaigrie, étrange reproduction héréditaire des brutalités que sa mère avait eu à endurer dans une heure de lutte et de soûlerie furieuse. Gervaise resta chétive, et Fine, la voyant toute pâle et toute faible, la mit au régime de l'anisette, sous prétexte qu'elle avait besoin de prendre des forces. La pauvre créature se dessécha davantage. C'était une grande fille fluette dont les robes, toujours trop larges, flottaient comme vides. Sur son corps émacié et contrefait, elle avait une délicieuse tête de poupée, une petite face ronde et blême d'une exquise délicatesse. Son infirmité était presque une grâce ; sa taille fléchissait doucement à chaque pas, dans une sorte de balancement cadencé.

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