La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°699)

Partie : Préface, chapitre IV

Vers une heure, les trois mille hommes, accroupis à terre, tenant leurs armes entre leurs jambes, mangeaient. La place du Marché et celle de l'Hôtel-de-Ville étaient transformées en de vastes réfectoires. Malgré le froid vif, il y avait des traînées de gaieté dans cette foule grouillante, dont les clartés vives de la lune dessinaient vivement les moindres groupes. Les pauvres affamésdévoraient joyeusement leur part, en soufflant dans leurs doigts ; et, du fond des rues voisines, où l'on distinguait de vagues formes noires assises sur le seuil blanc des maisons, venaient aussi des rires brusques qui coulaient de l'ombre et se perdaient dans la grande cohue. Aux fenêtres, les curieuses enhardies, des bonnes femmes coiffées de foulards, regardaient manger ces terribles insurgés, ces buveurs de sang allant à tour de rôle boire à la pompe du marché, dans le creux de leur main.

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