La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°760)

Partie : Préface, chapitre V

Il y eu un silence. Jusqu'à cette heure trouble, les jeunes gens s'étaient aimés d'une tendresse fraternelle. Dans leur ignorance, ils continuaient à prendre pour une amitié vive l'attrait qui les poussait à se serrer sans cesse entre les bras, et à se garder dans leurs étreintes, plus longtemps que ne se gardent les frères et les sœurs. Mais, au fond de ces amours naïves, grondaient, plus hautement, chaque jour, les tempêtes du sang ardent de Miette et de Silvère. Avec l'âge, avec la science, unepassion chaude, d'une fougue méridionale, devait naître de cette idylle. Toute fille qui se pend au cou d'un garçon est femme déjà, femme inconsciente, qu'une caresse peut éveiller. Quand les amoureux s'embrassent sur les joues, c'est qu'ils tâtonnent et cherchent les lèvres. Un baiser fait des amants. Ce fut par cette noire et froide nuit de décembre, aux lamentations aigres du tocsin, que Miette et Silvère échangèrent un de ces baisers qui appellent à la bouche tout le sang du cœur.

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