La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°800)

Partie : Préface, chapitre V

Miette avait à peine neuf ans, lorsque son père fut envoyé au bagne, pour avoir tué un gendarme d'un coup de feu. Le procès de Chantegreil était resté célèbre dans le pays. Le braconnier avoua hautement le meurtre ; mais il jura que le gendarme le tenait lui-même au bout de son fusil. " Je n'ai fait que le prévenir, dit-il ; je me suis défendu ; c'est un duel et non un assassinat. " Il ne sortit pas de ce raisonnement. Jamais le président des assises ne parvint à lui faire entendre que, si un gendarme a le droit de tirer sur un braconnier, un braconnier n'a pas celui de tirer sur un gendarme. Chantegreil échappa à la guillotine, grâce à son attitude convaincue et à ses bons antécédents. Cet homme pleura comme un enfant, lorsqu'on lui amena sa fille, avant son départ pour Toulon. La petite, qui avait perdu sa mère au berceau, demeurait avec son grand-père à Chavanoz, un village des gorges de la Seille. Quand le braconnier ne fut plus là, le vieux et la fillette vécurent d'aumônes. Les habitants de Chavanoz, tous chasseurs, vinrent en aide aux pauvres créatures que le forçat laissait derrière lui. Cependant le vieux mourut de chagrin. Miette, restée seule, aurait mendié sur les routes, si les voisines ne s'étaient souvenues qu'elle avait une tante à Plassans. Uneâme charitable voulut bien la conduire chez cette tante, qui l'accueillit assez mal.

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