La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°811)

Partie : Préface, chapitre V

A cette époque, Miette devenait femme déjà. D'une puberté précoce, elle résista au martyre avec une énergie extraordinaire. Elle s'abandonnait rarement, seulement aux heures où ses fiertés natives mollissaient sous les outrages de son cousin. Bientôt elle supporta d'un œil sec les blessures incessantes de cet être lâche, qui la surveillait en parlant, de peur qu'elle ne lui sautât au visage. Puis elle savait le faire taire, en le regardant fixement. Elle eut à plusieurs reprises l'envie de se sauver du Jas-Meiffren. Mais elle n'en fit rien, par courage, pour ne pas s'avouer vaincue sous les persécutions qu'elle endurait. En somme, elle gagnait son pain, elle ne volait pas l'hospitalité des Rébufat ; cette certitude suffisait à son orgueil. Elle resta ainsi pour lutter, se roidissant, vivant dans une continuelle pensée de résistance. Sa ligne de conduite fut de faire sa besogne en silence et de se venger des mauvaises paroles par un mépris muet. Elle savait que son oncle abusait trop d'elle pour écouter aisément les insinuations de Justin, qui rêvait de la faire jeter à la porte. Aussi, mettait-elle une sorte de défi à ne pas s'en aller d'elle-même.

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