La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°858)

Partie : Préface, chapitre V

C'était là, en effet, la joie inespérée qui les ravissait. Ils ne parlaient guère que pour voir remuer leurs lèvres, tant ce jeu nouveau amusait l'enfance qui était encore en eux. Aussi se promirent-ils sur tous les tons de ne jamais manquer au rendez-vous matinal. Quand Miette eut déclaré qu'il lui fallait s'en aller, elle dit à Silvère qu'il pouvait tirer son seau d'eau. Mais Silvère n'osait remuer la corde : Miette était restée penchée, il voyait toujours son visage souriant, et il lui en coûtait trop d'effacer ce sourire. A un léger ébranlement qu'il donna au seau, l'eau frémit, le sourire de Miette pâlit. Il s'arrêta pris d'une étrange crainte : il s'imaginait qu'il venait de la contrarier et qu'elle pleurait. Mais l'enfant lui cria : " Va donc ! va donc ! " avec un rire que l'écho lui renvoyait plus prolongé et plus sonore. Et elle fit elle-même descendre un seau bruyamment. Il y eut une tempête. Tout disparut sous l'eau noire. Silvère alors se décida à emplir ses deux cruches, en écoutant les pas de Miette, qui s'éloignait, de l'autre côté de la muraille.

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