La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°920)

Partie : Préface, chapitre V

Silvère, qui comprenait vaguement le danger de ces extases, se levait parfois d'un bond en proposant de passer dans une des petites îles que les eaux basses découvraient au milieu de la rivière. Tous deux, les pieds nus, s'aventuraient ; Miette se moquait des cailloux, elle ne voulait pas que Silvère la soutint, et il lui arriva une fois de s'asseoir au beau milieu du courant ; mais il n'y avait pas vingt centimètres d'eau, elle en fut quitte pour faire sécher sa première jupe. Puis, quand ils étaient dans l'île, ils se couchaient à plat ventre sur une langue de sable, les yeux au niveau de la surface de l'eau, dont ils regardaient au loin, dans la nuit claire, frémir les écailles d'argent. Alors Miette déclarait qu'elle était en bateau, l'île marchait pour sûr ; elle la sentait bien qui l'emportait ; ce vertige que leur donnait le grand ruissellement dont leurs yeux s'emplissaient les amusait un instant, les tenait là, sur le bord, chantant à demi-voix, ainsi que les bateliers dont les rames battent l'eau. D'autres fois, quand l'île avait une berge basse, ils s'y asseyaient comme sur un banc de verdure, laissant pendre leurs pieds nus dans le courant. Et, pendant des heures, ils causaient, faisant jaillir l'eau à coups de talon, balançant les jambes, prenant plaisir à déchaîner des tempêtes dans le bassin paisible dont la fraîcheur calmait leur fièvre.

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