La Fortune des Rougon

La Fortune des Rougon (paragraphe n°978)

Partie : Préface, chapitre V

Une minute s'écoula, interminable. La troupe avait disparu ; elle était cachée dans un pli de terrain, et bientôt les insurgés aperçurent, du côté de la plaine, au ras du sol, des pointes de baïonnettes qui poussaient, grandissaient, roulaient sous le soleil levant, comme un champ de blé aux épis d'acier. Silvère, à ce moment, dans la fièvre qui le secouait, crut voir passer devant lui l'image du gendarme dont le sang lui avait taché les mains ; il savait, par les récits de ses compagnons, que Rengade n'était pas mort, qu'il avait simplement un œil crevé ; et il le distinguait nettement, avec son orbite vide, saignant, horrible. La pensée aiguë de cet homme, auquel il n'avait plus songé depuis son départ de Plassans, lui fut insupportable. Il craignit d'avoir peur. Il serrait violemment sa carabine, les yeux voilés par un brouillard, brûlant de décharger son arme, de chasser l'image du borgne à coups de feu. Les baïonnettes montaient toujours, lentement.

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