La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1239)

Chapitre VI

Lazare restait une minute immobile, à regarder un bateau pêcheur de Port-en-Bessin, dont la voile grise rasait l'eau comme l'aile d'une mouette. Puis, il se remettait à marcher. Sa mère allait mourir ! cela retentissait à grands coups dans son être. Quand il n'y pensait plus, un nouveau coup, plus profond, l'ébranlait ; et c'étaient des surprises continuelles, une idée à laquelle il ne pouvait s'habituer, une stupeur sans cesse renaissante, qui ne laissait pas de place pour d'autres sensations. Même, par moments, cette idée perdait de sa netteté, il y avait en lui le vague pénible d'un cauchemar, où ne surnageait de précise que l'attente anxieuse d'un grand malheur. Pendant des minutes entières, tout ce qui l'entourait, disparaissait ; ensuite, lorsqu'il revoyait les sables, les algues, la mer au loin, cet horizon immense, ils'étonnait un instant, sans le reconnaître. Etait-ce donc là qu'il avait passé si souvent ? Le sens des choses lui semblait changé, jamais il n'en avait ainsi pénétré les formes ni les couleurs. Sa mère allait mourir ! et il marchait toujours, comme pour échapper à ce bourdonnement qui l'étourdissait.

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