La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1309)

Chapitre VII

L'estacade pourtant résistait. A chaque lame qui la couvrait d'écume, les charpentes noires, enduites degoudron, reparaissaient sous l'eau blanche. Mais, dès qu'une pièce de bois fut rompue, les pièces voisines commencèrent à s'en aller, morceau à morceau. Depuis cinquante ans, les anciens n'avaient pas vu une mer aussi forte. Bientôt, il fallut s'éloigner, les poutres arrachées battaient les autres, achevaient de démolir l'estacade, dont les épaves étaient violemment jetées à terre. Il n'en restait qu'une toute droite pareille à une de ces balises qu'on plante sur les écueils. Bonneville cessait de rire, des femmes emportaient des enfants en larmes. La gueuse les reprenait, c'était une stupeur résignée, la ruine attendue et subie, dans ce voisinage si étroit de la grande mer qui les nourrissait et les tuait. Il y eut une débandade, un galop de gros souliers : tous se réfugiaient derrière les murs de galets, dont la ligne seule protégeait encore les maisons. Des pieux cédaient déjà, les planches étaient enfoncées, les vagues énormes passaient par-dessus les murs trop bas. Rien ne résista plus, un paquet d'eau alla briser les vitres, chez Houtelard, et inonder sa cuisine. Alors, ce fut une déroute, il ne restait que la mer victorieuse, balayant la plage.

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