La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1317)

Chapitre VII

Sa pauvre mère, il la perdait de nouveau, à chaque heure, toutes les fois que la morte se dressait en lui. D'abord, il n'avait pas tant souffert, ni quand sa cousine était descendue se jeter dans ses bras, ni pendant la longue cruauté de l'enterrement. Il ne sentait l'affreuse perte que depuis son retour dans la maison vide ; et son chagrin s'exaspérait du remords de n'avoir pas pleuré davantage, sous le coup de l'agonie, lorsque quelque chose de la disparue était encore là. La crainte de n'avoir pas aimé sa mère le torturait, l'étranglait parfois d'une crise de sanglots. Il l'évoquait sans cesse, il était hanté par son image. S'il montait l'escalier, il s'attendait à la voir sortir de sa chambre, du petit pas rapide dont elle traversait le corridor. Souvent, il se retournait, croyant l'entendre, si rempli d'elle, qu'il finissait par avoirl'hallucination d'un bout de robe coulant derrière une perte. Elle n'était pas fâchée, elle ne le regardait même pas ; ce n'était qu'une apparition familière, une ombre de la vie d'autrefois. La nuit, il n'osait éteindre sa lampe, des bruits furtifs s'approchaient du lit, une haleine l'effleurait au front, dans l'obscurité. Et la plaie, au lieu de se fermer, allait en s'élargissant toujours, c'était au moindre souvenir une secousse nerveuse, une apparition réelle et rapide, qui s'évanouissait aussitôt, en lui laissant l'angoisse du jamais plus.

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