La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1371)

Chapitre VII

Pauline avait un chagrin pourtant : Lazare échappait à ses consolations. Elle s'inquiétait de le voir retomber dans ses humeurs sombres. Au fond du regret de sa mère, il y avait chez lui une recrudescence de l'épouvante de la mort. Depuis que le temps effaçait le premier chagrin, cette épouvante revenait, grossie de la crainte du mal héréditaire. Lui aussi mourrait par le cœur, il promenait la certitude d'une fin tragique et prochaine. Et, à toute minute, il s'écoutait vivre, dans une telle excitation nerveuse, qu'il entendait marcher les rouages de la machine : c'étaient les contractions pénibles de l'estomac, les sécrétions rouges des reins, les sourdes chaleurs du foie ; mais, au-dessus du bruit des autres organes, il était surtout assourdi par son cœur, qui sonnait des volées de cloches dans chacun de ses membres, jusqu'au bout de ses doigts. S'il posait le coude sur une table, son cœur battait dans son coude ; s'il appuyait sa nuque à un dossier de fauteuil, son cœur battait dans sa nuque ; s'il s'asseyait, s'il se couchait, son cœur battait dans ses cuisses, dans ses flancs, dans son ventre ; et toujours, et toujours, ce bourdon ronflait, lui mesurait la vie avec le grincement d'une horloge qui se déroule. Alors, sous l'obsession de l'étude qu'il faisait sans cesse de son corps, il croyait à chaque instant que tout allait craquer, que les organes s'usaient et volaient en pièces, que le cœur, devenu monstrueux, cassait lui-même la machine, à grands coups de marteau. Ce n'était plus vivre que des'entendre vivre ainsi, tremblant devant la fragilité du mécanisme, attendant le grain de sable qui devait le détruire.

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