La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1586)

Chapitre VIII

Cependant, Pauline restait la mère de son petit monde, soignait Chanteau qui allait mal, était obligée de suppléer Véronique dont la propreté se gâtait, sans compter Lazare et Louise qu'elle feignait de traiter en gamins turbulents pour pouvoir sourire de leurs escapades. Elle arrivait à rire plus haut qu'eux, de ce beau rire sonore qui sonnait la santé et le courage de la vie, avec des notes limpides de clairon. La maison entière s'égayait. Elle, du matin au soir, exagérait son activité,refusait d'accompagner les enfants à la promenade, sous le prétexte d'un grand nettoyage, d'une lessive ou de conserves à conduire. Mais c'était surtout Lazare qui devenait bruyant : il sifflait dans l'escalier, tapait les portes, trouvait les journées trop courtes et trop calmes. Bien qu'il ne fit rien, la nouvelle passion dont il était envahi, semblait l'occuper au-delà de son temps et de ses forces. Une fois encore, il conquérait le monde, c'étaient chaque jour au dîner d'autres projets d'avenir extraordinaires. Déjà la littérature le dégoûtait, il avouait avoir abandonné la préparation des examens, qu'il voulait subir afin d'entrer dans le professorat ; longtemps, il s'était enfermé chez lui sous cette excuse, si découragé, qu'il n'ouvrait pas même un livre ; et il raillait aujourd'hui sa stupidité, n'était-ce pas idiot de se mettre un fil à la patte, pour écrire plus tard des romans et des drames ? Non ! il n'y avait que la politique, son plan désormais était bien arrêté : il connaissait un peu le député de Caen, il le suivrait à Paris comme secrétaire, et là, en quelques mois, il ferait son chemin. L'Empire avait grand besoin de garçons intelligents. Lorsque Pauline, inquiète de ce galop d'idées, tâchait de calmer sa fièvre en lui conseillant un petit emploi solide, il se récriait sur sa prudence, l'appelait " grand-mère ", en façon de plaisanterie. Et le tapage recommençait, la maison retentissait d'une joie trop grosse, où l'on sentait l'angoisse d'une misère cachée.

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