La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1740)

Chapitre IX

Ce fut le lendemain seulement que Lazare commença à prendre Pauline pour confidente ; et il ne se confessa pas d'un trait, elle sut d'abord les choses par de courtes phrases, jetées au travers de la conversation. Puis, enhardie, elle le questionna bientôt, pleine d'une affection inquiète. Comment vivait-il avec Louise ? leur bonheur était-il toujours aussi complet ? Il répondait oui, mais il se plaignait de petits ennuis intérieurs, il racontait des faits insignifiants, qui avaient provoqué des querelles. Le ménage, sans en être à une rupture, souffrait des mille froissements de deux tempéraments nerveux, incapables d'équilibre dans la joie et dans la douleur. C'était, entre eux, une sorte de rancune secrète, comme s'ils avaient eu la surprise et la colère de s'être mépris, de trouver si vite le fond de leur cœur, après le grand amour des premiers temps. Pauline crut comprendre un moment que des pertes pécuniaires les avaient aigris ; mais elle se trompait, leurs dix mille francs de rente restaient à peu près intacts. Lazare s'était seulement dégoûté des affaires, de même qu'il s'était dégoûté de la musique, de la médecine, de l'industrie ; et, sur ce sujet, il éclata en paroles brutales, jamais il n'avait vu un monde plus bête ni plus gâté que celui de la finance, il préférait tout,l'ennui de la province, la médiocrité d'une petite fortune, à ce continuel souci de l'argent, à ce ramollissement cérébral sous la danse affolée des chiffres. D'ailleurs, il venait de quitter la compagnie d'assurances, il était résolu à tenter le théâtre, dès l'hiver suivant, lorsqu'il serait rentré à Paris. Sa pièce devait le venger, il y montrerait le chancre de l'argent dévorant la société moderne.

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