La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°1743)

Chapitre IX

Alors, d'autres nuits vinrent, il retomba dans son tourment. Cela le frappait au hasard de ses insomnies, sans règle, sans qu'il pût rien prévoir, ni rien empêcher. Brusquement, au milieu des heures calmes, le frisson le prenait ; tandis que, souvent, dans la colère et la courbature d'un mauvais jour, il n'était pas visité par la peur. Et ce n'était plus le simple sursaut d'autrefois, la lésion nerveuse augmentait, le retentissement de chaque secousse nouvelle ébranlait tout son être. Il ne pouvait dormir sans veilleuse, les ténèbres exaspéraient son anxiété, malgré la continuelle crainte que sa femme ne découvrît son mal. Même il y avait là un redoublement demalaise qui aggravait les crises, car jadis, quand il couchait seul, il lui était permis d'être lâche. Cette créature vivante, dont il sentait la tiédeur à son côté, l'inquiétait. Dès que la peur le soulevait de l'oreiller, aveuglé de sommeil, son regard se portait vers elle, avec la pensée éperdue de la voir les yeux ouverts, fixés tout grands sur les siens. Mais jamais elle ne bougeait, il distinguait à la lueur de la veilleuse son visage immobile, aux lèvres épaissies et aux minces paupières bleues. Aussi commençait-il à se tranquilliser, lorsque, une nuit, il la trouva, comme il l'avait redouté si longtemps, les yeux grands ouverts. Elle ne disait rien, elle le regardait grelotter et blêmir. Sans doute, elle aussi venait de sentir passer la mort, car elle parut comprendre, elle se jeta contre lui, dans un abandon de femme qui demande du secours. Puis, voulant encore se tromper l'un l'autre, ils feignirent d'avoir entendu un bruit de pas, ils se levèrent pour faire une visite sous les meubles et derrière les rideaux.

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