La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°284)

Chapitre II

Les journées passaient, on était arrivé au commencement d'août, et Lazare ne prenait aucune décision. Pauline devait, en octobre, entrer dans un pensionnat de Bayeux. Lorsque la mer les avait engourdis d'une lassitude heureuse, ils s'allongeaient sur le sable, ils causaient de leurs affaires, très raisonnablement. Elle finissait par l'intéresser à la médecine, en lui expliquant que, si elle était un homme, ce qu'elle trouverait de plus passionnant, ce serait de guérir le monde. Justement, depuis une semaine, le Paradis terrestre allait mal, il doutait de son génie. Certes, il y avait eu des gloires médicales, les grands noms lui revenaient, Hippocrate, Ambroise Paré, et tant d'autres. Mais, une après-midi, il poussa des cris de joie, il tenait son chef-d'œuvre : c'était bête, le Paradis, il cassait tout ça, il écrivait la symphonie de la Douleur, une page où il notait, en harmonies sublimes, la plainte désespérée de l'Humanité sanglotant sous le ciel ; et il utilisait sa marche d'Adam et d'Eve, il en faisait carrément la marche de la Mort. Pendant huit jours, son enthousiasme augmenta d'heure en heure, il résumait l'univers dans son plan. Une autre semaine s'écoula, son amie resta très étonnée, un soir, del'entendre dire qu'il irait tout de même étudier volontiers la médecine à Paris. Il avait songé que cela le rapprochait du Conservatoire : être là-bas d'abord, ensuite il verrait. Ce fut une grande joie pour madame Chanteau. Elle aurait préféré son fils dans l'administration ou dans la magistrature ; mais les médecins étaient au moins des gens honorables, et qui gagnaient beaucoup d'argent.

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