La Joie de vivre

La Joie de vivre (paragraphe n°325)

Chapitre II

Pendant une semaine, on l'attendit. Chaque matin, une lettre arrivait, remettant son départ au jour suivant. Sa mère et Pauline allèrent à sa rencontre jusqu'à Verchemont. On s'embrassa sur la route, on rentra dans la poussière, suivi par la voiture vide, qui portait la malle. Mais ce retour en famille fut moins gai que la surprise triomphale de l'année précédente. Il avait échoué à son examen de juillet, il était aigri contre les professeurs, toute la soirée il déblatéra contre eux, des ânes dont il finissait par avoir plein le dos, disait-il. Le lendemain, devant Pauline, il jeta ses livres sur une planche de l'armoire, en déclarant qu'ils pouvaient bien pourrir là. Ce dégoût si prompt la consternait, elle l'écoutait plaisanter férocement la médecine, la mettre au défi de guérir seulement un rhume de cerveau ; et un jour qu'elle défendait la science, dans un élan de jeunesse et de foi, elle devint toute rouge, tellement il se moqua de son enthousiasme d'ignorante. Du reste, il se résignait quand même à être médecin ; autant cette blague-là qu'uneautre ; rien n'était drôle, au fond. Elle s'indignait de ces nouvelles idées qu'il rapportait. Où avait-il pris ça ? dans de mauvais livres, bien sûr ; mais elle n'osait plus discuter, gênée par son ignorance absolue, mal à l'aise devant le ricanement de son cousin qui affectait de ne pouvoir lui tout dire. Les vacances se passèrent de la sorte, en continuelles taquineries. Dans leurs promenades, lui, maintenant, semblait s'ennuyer, trouvait la mer bête, toujours la même ; cependant, il s'était mis à faire des vers, pour tuer le temps, et il écrivait sur la mer des sonnets, d'une facture soignée, de rimes très riches. Il refusa de se baigner, il avait découvert que les bains froids étaient contraires à son tempérament ; car, malgré sa négation de la médecine, il exprimait des opinions tranchantes, il condamnait ou sauvait les gens d'un mot. Vers le milieu de septembre, comme Louise allait arriver, il parla tout d'un coup de retourner à Paris, en prétextant la préparation de son examen ; ces deux petites filles l'assommeraient, autant reprendre un mois plus tôt la vie du quartier. Pauline était devenue plus douce à mesure qu'il la chagrinait davantage. Lorsqu'il se montrait brusque, lorsqu'il se réjouissait à la désespérer, elle le regardait des yeux tendres et rieurs dont elle calmait Chanteau, quand celui-ci hurlait dans l'angoisse d'une crise. Pour elle, son cousin devait être malade, il voyait la vie comme les vieux.

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