La Joie de vivre
La Joie de vivre (paragraphe n°490)
Chapitre III
Puis madame Chanteau se relâcha de cette rigidité. Un soir, Lazare lui avoua une dette qu'il avait cachée à Pauline : cinq mille francs de tuyaux de cuivre, qu'onn'avait pas même utilisés. Et, comme la mère venait justement de visiter le tiroir avec la jeune fille, elle y retourna seule, elle prit les cinq mille francs, devant le désespoir de son fils, en se promettant de les remettre, au premier gain. Mais, à partir de ce jour, la brèche était ouverte, elle s'accoutuma, puisa sans compter. D'ailleurs, elle finissait par trouver blessante, à son âge, cette continuelle sujétion au bon plaisir d'une gamine ; et elle en gardait une rancune. On le lui rendrait, son argent ; s'il lui appartenait, ce n'était pas une raison suffisante pour ne plus se permettre un geste, avant de lui en avoir demandé la permission. Dès qu'elle eut fait un trou dans le tiroir, elle n'exigea plus d'être accompagnée. Pauline en éprouva un soulagement ; car, malgré son bon cœur, les visites au secrétaire lui étaient pénibles : sa raison l'avertissait d'une catastrophe, l'économie prudente de sa mère se révoltait en elle. D'abord, elle s'étonna du silence de madame Chanteau, elle sentait bien que l'argent filait tout de même, et qu'on se passait d'elle, simplement. Ensuite, elle préféra cela. Au moins, elle n'avait pas le désagrément de voir, chaque fois, le tas des papiers diminuer. Il n'y eut désormais, entre elles deux, qu'un échange rapide de regards, à certaines heures : le regard fixe et inquiet de la nièce, quand elle devinait un nouvel emprunt ; le regard vacillant de la tante, irritée d'avoir à tourner la tête. C'était comme un ferment de haine qui germait.